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PRÉFACE DE L’ÉDITEUR.


tiques qui mesurent l’effet des actions humaines. Pour eux ce n’est pas la fatalité qui gouverne le monde ; les peuples sont les artisans de leur destinée.

Machiavel, il faut le reconnaître, a un grand avantage sur son rival. Il a vécu au milieu des agitations populaires, parmi les guerres et les révolutions ; il a vu de près les fureurs et les faiblesses des partis, la violence et l’injustlce des factions, aussi n’y a-t-il rien qui l’étonne dans l’histoire des Romains. De la Florence des Médicis à la Rome d’Auguste, il y a la différence des temps plutôt que celle des hommes. Montesquieu, né dans une vieille monarchie, chez un peuple rompu à l’obéissance, ne connaît la liberté que par ouï-dire ; toute sa science lui vient de l’antiquité. Il ne dit rien des Gracques, et c’est en copiant Cicéron qu’il nous parle de cette terrible lutte de la misère et de l’ambition qui mena fatalement à l’Empire. Il lui a fallu l’étude de l’Angleterre et une force d’esprit remarquable pour s’élever à certaines vues qui étaient aussi familières au secrétaire florentin qu’elles nous le sont aujourd’hui. Nous ne savons que trop ce que c’est qu’une révolution, et il ne nous faut pas de grands efforts pour nous figurer un César ou un Clodius. En était-il de même pour un magistrat qui, en fait d’agitation politique, ne connaissait que les remontrances du Parlement, la mauvaise humeur du Chancelier, et l’avis du Conseil, ou la lettre de cachet, qui finissait la comédie en imposant silence à tout le monde ?

A côté de Machiavel, on a voulu trouver à l’étranger d’autres écrivains qui auraient inspiré Montesquieu. On a cité Paruta, l’historien de Venise, Harrington et son Oceana, Walter Moyle, disciple d’Harrington, qui en 1726 a publié à Londres un Essai sur le Gouvernement de Rome[1]. C’est une maladie de l’esprit humain de croire toujours que les grands hommes ont volé leurs chefs-d’œuvre à quelque médiocrité inconnue. La vérité est que Montesquieu ne doit rien ni au livre insignifiant de Walter Moyle ni aux Discours politiques de Paruta. Il est même probable qu’il ne les a jamais lus.

Restent deux auteurs français qui ont traité le même sujet que Montesquieu, et que certainement il a eus devant les yeux.

  1. Traduit en français et publié à Paris en l’an X (1801). Un vol. in-8o de 112 pages.