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DES ROMAINS, CHAP. II.


avec elle ; que, chaque fois[1], elle se retranchât et fût, comme dit Végèce[2], une espèce de place de guerre.

Pour qu’ils pussent avoir des armes plus pesantes que celles des autres hommes, il fallait qu’ils se rendissent plus qu’hommes ; c’est ce qu’ils firent par un travail continuel qui augmentait leur force, et par des exercices qui leur donnaient de l’adresse, laquelle n’est autre chose qu’une juste dispensation des forces que l’on a.

Nous remarquons aujourd’hui que nos armées périssent beaucoup par le travail[3] immodéré des soldats, et, cependant, c’était par un travail immense que les Romains se conservaient. La raison en est, je crois, que leurs fatigues étaient continuelles, au lieu que nos soldats passent sans cesse d’un travail extrême à une extrême oisiveté, ce qui est la chose du monde la plus propre à les faire périr.

Il faut que je rapporte ici ce que les auteurs[4] nous disent de l’éducation des soldats romains. On les accoutumait à aller le pas militaire, c’est-à-dire à faire en cinq heures vingt milles, et quelquefois vingt-quatre[5]. Pendant ces marches, on leur faisait porter des poids de soixante livres. On les entretenait dans l’habitude de courir, et de

  1. A. Chaque soir.
  2. Livre II, Chapitre XXV. (M.)
  3. Surtout par le fouillement des terres, (M.) Montesquieu fait peut-être allusion aux travaux entrepris sous Louis XIV pour la construction de l’aqueduc de Maintenon ; ces travaux coutèrent, dit-on, la vie à plus de dix mille soldats. (Aubert.)
  4. Voyez Végèce, liv. I. Voyez dans Tite-Live, liv. XXVI, les exercices que Scipion l’Africain faisait faire aux soldats après la prise de Carthage la Neuve. Marius, malgré sa vieillesse, allait tous les jours au Champ de Mars. Pompée, à l’âge de cinquante-huit ans, allait combattre tout armé avec les jeunes gens ; il montait à cheval, courait à bride abattue, et lançait ses javelots. Plutarque, Vie de Marius et de Pompée. (M.)
  5. Le mille romain valait, suivant Letronne, 1 kilom. 175 mètres.