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GRANDEUR ET DÉCADENCE

Carthaginois. Pour lors, les soldats étaient pour beaucoup, et les gens de l’art, pour peu ; à présent, les soldats sont pour rien ou pour peu, et les gens de l’art, pour beaucoup.

La victoire du consul Duillius fait bien sentir cette différence[1] ; les Romains n’avaient aucune connaissance de la navigation ; une galère carthaginoise échoua sur leurs côtes ; ils se servirent de ce modèle pour en bâtir ; en trois mois de temps, leurs matelots furent dressés, leur flotte fut construite, équipée ; elle mit à la mer ; elle trouva l’armée navale des Carthaginois et la battit.

À peine, à présent, toute une vie suffit-elle à un prince pour former une flotte capable de paraître devant une puissance qui a déjà l’empire de la mer ; c’est peut-être la seule chose que l’argent seul ne peut pas faire. Et si, de nos jours, un grand prince réussit d’abord[2], l’expérience a fait voir à d’autres que c’est un exemple qui peut être plus admiré que suivi[3].

La seconde guerre punique est si fameuse que tout le monde la sait. Quand on examine bien cette foule d’obstacles qui se présentèrent devant Annibal, et que cet homme extraordinaire surmonta tous, on a le plus beau spectacle que nous ait fourni l’Antiquité.

Rome fut un prodige de constance. Après les journées du Tésin, de Trébie et de Trasimène, après celle de Cannes, plus funeste encore, abandonnée de presque tous les peuples d’Italie, elle ne demanda point la paix. C’est que le sénat ne se départait jamais des maximes

  1. A. Une grande preuve de la différence, c’est la victoire que gagna le consul Duillius.
  2. Louis XIV. (M.)
  3. L’Espagne et la Moscovie. (M.)