Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t2.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
166
GRANDEUR ET DÉCADENCE


d’Appion, et l’Égypte fut enchaînée par celui du roi de Cyrène.

Pour tenir les grands princes toujours faibles, ils ne voulaient pas qu’ils reçussent dans leur alliance ceux à qui ils avaient accordé la leur[1], et, comme ils ne la refusaient à aucun des voisins d’un prince puissant, cette condition, mise dans un traité de paix, ne lui laissait plus d’alliés.

De plus, lorsqu’ils avaient vaincu quelque prince considérable, ils mettaient, dans le traité, qu’il ne pourrait faire la guerre pour ses différends avec les alliés des Romains (c’est-à-dire, ordinairement, avec tous ses voisins), mais qu’il les mettrait en arbitrage ; ce qui lui ôtait, pour l’avenir, la puissance militaire.

Et, pour se la réserver toute, ils en privaient leurs alliés mêmes : dès que ceux-ci avaient le moindre démêlé, ils envoyaient des ambassadeurs qui les obligeaient de faire la paix. Il n’y a qu’à voir comme ils terminèrent les guerres d’Attalus et de Prusias.

Quand quelque prince avait fait une conquête, qui souvent l’avait épuisé, un ambassadeur romain survenait d’abord, qui la lui arrachait des mains. Entre mille exemples, on peut se rappeler comment, avec une parole, ils chassèrent d’Égypte Antiochus [2].

Sachant combien les peuples d’Europe étaient propres à la guerre, ils établirent comme une loi, qu’il ne serait permis à aucun roi d’Asie d’entrer en Europe et d’y assujettir quelque peuple que ce fût[3]. Le principal motif de la

  1. Ce fut le cas d’Antiochus. (M.)
  2. C'est l'histoire du cercle de Popillus. Voy. Montaigne, II, 35.
  3. La défense faite à Antiochus, même avant la guerre, de passer en Europe, devint générale contre les autres rois. (M.)