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GRANDEUR ET DÉCADENCE


que la modération que l’on montre après qu’on a tout usurpé ne mérite pas de grandes louanges.

Quoi que l’on ait dit de sa diligence après Pharsale, Cicéron l’accuse de lenteur avec raison : il dit à Cassius qu’ils n’auraient jamais cru que le parti de Pompée se fût ainsi relevé en Espagne et en Afrique, et que, s’ils avaient pu prévoir que César se fût amusé à sa guerre d’Alexandrie, ils n’auraient pas fait leur paix, et qu’ils se seraient retirés[1] avec Scipion et Caton en Afrique[2]. Ainsi un fol amour[3]lui fit essuyer quatre guerres, et, en ne prévenant pas les deux dernières, il remit en question ce qui avait été décidé à Pharsale.

César gouverna d’abord sous des titres de magistrature ; car les hommes ne sont guère touchés que des noms. Et, comme les peuples d’Asie abhorraient ceux de consul et de proconsul, les peuples d’Europe détestaient celui de roi ; de sorte que, dans ces temps-là, ces noms faisaient le bonheur ou le désespoir de toute la terre[4]. César ne laissa pas de tenter de se faire mettre le diadème sur la tête[5] ; mais, voyant que le peuple cessait ses acclamations, il le rejeta. Il fit encore d’autres tentatives[6], et je ne puis comprendre qu’il pût croire que les Romains, pour le souffrir tyran, aimassent pour cela la tyrannie ou crussent avoir fait ce qu’ils avaient fait.

Un jour que le Sénat lui déférait de certains honneurs, il négligea de se lever, et, pour lors, les plus graves de ce corps achevèrent de perdre patience.

  1. A. Ils auroient suivi Scipion, etc.
  2. Épîtres familières, liv. XV, lettre 15. (M.)
  3. Pour Cléopâtre, reine D’Égypte. Suet., in Julio, ch. LII.
  4. A. B. De toute la terre.
  5. Par Antoine, pendant les fêtes lupercales. Suet., in Julio, ch. LXXXIX.
  6. Il cassa les tribuns du peuple. (M.)