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DES ROMAINS, CHAP. XIII.


jaloux de la liberté de leur patrie, quoiqu’ils la détruisissent sans cesse, n’y ayant rien de si aveugle qu’une armée.

La bataille d’Actium se donna. Cléopâtre fuit et entraîna Antoine avec elle. Il est certain que, dans la suite, elle le trahit[1]. Peut-être que, par cet esprit de coquetterie inconcevable des femmes, elle avait formé le dessein de mettre encore à ses pieds un troisième maître du monde.

Une femme[2], à qui Antoine avait sacrifié le monde entier, le trahit ; tant de capitaines et tant de rois, qu’il avait agrandis ou faits, lui manquèrent ; et, comme si la générosité avait été liée à la servitude, une troupe de gladiateurs lui conserva une fidélité héroïque. Comblez un homme de bienfaits, la première idée que vous lui inspirez, c’est de chercher les moyens de les conserver : ce sont de nouveaux intérêts que vous lui donnez à défendre.

Ce qu’il y a de surprenant dans ces guerres, c’est qu’une bataille décidait presque toujours l’affaire, et qu’une défaite ne se réparait pas.

Les soldats romains n’avaient point proprement d’esprit de parti : ils ne combattaient point pour une certaine chose, mais pour une certaine personne ; ils ne connaissaient que leur chef, qui les engageait par des espérances immenses ; mais, le chef battu n’étant plus en état de remplir ses promesses, ils se tournaient d’un autre côté. Les provinces n’entraient point non plus sincèrement dans la querelle : car il leur importait fort peu qui eût le dessus, du Sénat ou du peuple. Ainsi, sitôt qu’un des chefs était

  1. Voyez Dion, liv. LI, ch. XIV et XV. (M.)
  2. Ce paragraphe n’est pas dans A.