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DES ROMAINS, CHAP. XV.


cet usage continuel des châtiments sur une malheureuse partie du genre humain[1] ? Lorsque l’on est cruel dans l’état civil, que peut-on attendre de la douceur et de la justice naturelle ?

On est fatigué de voir, dans l’histoire des Empereurs, le nombre infini de gens qu’ils firent mourir pour confisquer leurs biens. Nous ne trouvons rien de semblable dans nos histoires modernes. Cela, comme nous venons de dire, doit être attribué à des mœurs plus douces et à une religion plus réprimante ; et de plus, on n’a point à dépouiller les familles de ces sénateurs qui avaient ravagé le monde. Nous tirons cet avantage de la médiocrité de nos fortunes, qu’elles sont plus sûres : nous ne valons pas la peine qu’on nous ravisse nos biens[2].

Le peuple de Rome, ce que l’on appelait plebs, ne haïssait pas les plus mauvais empereurs. Depuis qu’il avait perdu l’empire[3], et qu’il n’était plus occupé à la guerre, il était devenu le plus vil de tous les peuples ; il regardait le commerce et les arts comme des choses propres aux seuls esclaves, et les distributions de blé qu’il recevait lui faisaient négliger les terres ; on l’avait accoutumé aux jeux et aux spectacles. Quand il n’eut plus de tribuns à écouter ni de magistrats à élire, ces choses vaines lui devinrent nécessaires[4], et son oisiveté lui en augmenta le goût. Or Caligula, Néron, Commode, Cara-

  1. Les nègres esclaves. Montesquieu a été un des premiers à combattre l’esclavage. Voir l’Esprit des lois, XV, 5.
  2. Le duc de Bragance avait des biens immenses dans le Portugal : lorsqu’il se révolta, on félicité le roi d’Espagne de la riche confiscation qu’il allait avoir. (M.)
  3. A. Depuis qu’il n’avoit plus d’empire.
  4. A. Depuis qu’il n’eut plus de tribuns à écouter, ni magistrats à élire, ces choses, qu’on ne faisoit que souffrir, lui devinrent nécessaires, etc.