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CHAPITRE XVI.


DE L’ÉTAT DE L’EMPIRE DEPUIS ANTONIN
JUSQU’À PROBUS.


Dans ces temps-là, la secte des Stoïciens s’étendait et s’accréditait dans l’Empire. Il semblait que la nature humaine eût fait un effort pour produire d’elle-même cette secte admirable, qui était comme ces plantes que la terre fait naître dans des lieux que le ciel n’a jamais vus[1].

Les Romains lui durent leurs meilleurs empereurs. Rien n’est capable de faire oublier le premier Antonin que Marc-Aurèle, qu’il adopta. On sent en soi-même un plaisir secret lorsqu’on parle de cet empereur ; on ne peut lire sa vie sans une espèce d’attendrissement ; tel est l’effet qu’elle produit qu’on a meilleure opinion de soi-même, parce qu’on a meilleure opinion des hommes.

La sagesse de Nerva, la gloire de Trajan, la valeur d’Adrien, la vertu des deux Antonins, se firent respecter des soldats ; mais, lorsque de nouveaux monstres prirent leur place, l’abus du gouvernement militaire parut dans tout son excès, et les soldats qui avaient vendu l’empire assassinèrent les Empereurs pour en avoir un nouveau prix.

On dit qu’il y a un prince dans le monde[2] qui

  1. Esprit des lois, XXIV, X.
  2. Fréderic-Guillaume Ier, roi de Prusse en 1713, mort en 1740. En