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GRANDEUR ET DÉCADENCE


tien bornoient leurs cruautés dans Rome ; celui-ci allait promener sa fureur dans tout l’univers.

Sévère avait employé les exactions d’un long règne et les proscriptions de ceux qui avaient suivi le parti de ses concurrents, à amasser des trésors immenses.

Caracalla, ayant commencé son règne par tuer de sa propre main Géta, son frère, employa ses richesses à faire souffrir son crime aux soldats, qui aimaient Géta et disaient qu’ils avaient fait serment aux deux enfants de Sévère, non pas à un seul.

Ces trésors amassés par des princes n’ont presque jamais que des effets funestes : ils corrompent le successeur, qui en est ébloui, et, s’ils ne gâtent pas son cœur, ils gâtent son esprit. Il forme d’abord de grandes entreprises avec une puissance qui est d’accident, qui ne peut pas durer, qui n’est pas naturelle, et qui est plutôt enflée qu’agrandie.

Caracalla augmenta la paye des soldats ; Macrin écrivit au Sénat que cette augmentation allait à soixante et dix millions[1] de drachmes[2]. Il y a apparence que ce prince enflait les choses, et, si l’on compare la dépense de la paye de nos soldats d’aujourd’hui avec le reste des dépenses publiques, et qu’on suive la même proportion pour les Romains, on verra que cette somme eût été énorme[3].

Il faut chercher quelle était la paye du soldat romain. Nous apprenons d’Orose que Domitien augmenta d’un

  1. Sept mille myriades. Dion, in Macrin. (M.)
  2. La drachme attique était le denier romain, la huitième partie de l’once, et la soixante-quatrième partie de notre marc. (M.) Soixante-dix millions de drachmes équivalent à soixante millions huit cent soixante et un mille francs.
  3. Ce paragraphe et les huit suivants ne sont point dans A.