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GRANDEUR ET DÉCADENCE

L’eunuque Narsès fut encore donné à ce règne pour le rendre illustre. Élevé dans le Palais, il avait plus la confiance de l’Empereur : car les princes regardent toujours leurs courtisans comme leurs plus fidèles sujets.

Mais la mauvaise conduite de Justinien, ses profusions, ses vexations, ses rapines, sa fureur de bâtir, de changer, de réformer, son inconstance dans ses desseins, un règne dur et faible, devenu plus incommode par une longue vieillesse, furent des malheurs réels, mêlés à des succès inutiles et une gloire vaine.

Ces conquêtes, qui avaient pour cause, non la force de l’Empire, mais de certaines circonstances particulières, perdirent tout : pendant qu’on y occupait les armées, de nouveaux peuples passèrent le Danube, désolèrent l’Illyrie, la Macédoine et la Grèce, et les Perses, dans quatre invasions, firent à l’Orient des plaies incurables[1].

Plus ces conquêtes furent rapides, moins elles eurent un établissement solide : l’Italie et l’Afrique furent à peine conquises qu’il fallut les reconquérir.

Justinien avait pris sur le théâtre une femme qui s’y était longtemps prostituée[2]. Elle le gouverna avec un empire qui n’a point d’exemple dans les histoires, et, mettant sans cesse dans les affaires les passions et les fantaisies de son sexe, elle corrompit les victoires et les succès les plus heureux.

En Orient, on a de tout temps multiplié l’usage des femmes, pour leur ôter l’ascendant prodigieux qu’elles ont sur nous dans ces climats. Mais, à Constantinople, la

  1. Les deux empires se ravagèrent d’autant plus qu’on n’espérait pas conserver ce qu’on avait conquis. (M.)
  2. L’impératrice Théodora. (M.)