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POLITIQUE DES ROMAINS


Romulus, Tatius et Numa asservirent les dieux à la politique : le culte et les cérémonies qu’ils instituèrent furent trouvés si sages, que, lorsque les rois furent chassés, le joug de la religion fut le seul dont ce peuple, dans sa fureur pour la liberté, n’osa s’affranchir[1].

Quand les législateurs romains établirent la religion, ils ne pensèrent point à la réformation des mœurs, ni à donner des principes de morale[2] ; ils ne voulurent point gêner des gens qu’ils ne connaissaient pas encore[3]. Ils n’eurent donc d’abord qu’une vue générale, qui était d’inspirer à un peuple, qui ne craignait rien, la crainte des dieux, et de se servir de cette crainte pour le conduire à leur fantaisie.

Les successeurs de Numa n’osèrent point faire ce que ce prince n’avait point fait : le peuple, qui avait beaucoup perdu de sa férocité et de sa rudesse, était devenu capable d’une plus grande discipline. Il eût été facile d’ajouter aux cérémonies de la religion des principes et des règles de

    Ce qu’il est vrai de dire, c’est que partout où les prêtres forment une caste sacrée, il y a lutte entre l’État et l’Église ; partout, au contraire, où, comme à Rome, la prêtrise n’a pas de caractère divin, ou n’est qu’une fonction passagère, l’État est le maître de la religion, et n’a que bien rarement des querelles avec les ministres du culte.

  1. L’idée qu’à chaque révolution un peuple pourrait changer de religion comme de gouvernement parait étrange aujourd’hui ; elle devait sembler toute naturelle à Montesquieu, qui ne voyait dans la religion qu’une institution politique.
  2. Les religions antiques s’occupaient surtout de plaire aux dieux ou de désarmer leur colère par des sacrifices. Le culte était leur essence ; ce qui ne veut pas dire que le coupable n’eût rien à craindre du courroux des immortels.
  3. Var. Qui ne connaissaient pas encore les engagements d’une société dans laquelle ils venaient d’entrer.
    C’est la chimère du contrat social. Montesquieu suppose que ces premiers Romains auraient pu discuter, comme en concile, sur les dogmes qu’il leur convenait d’adopter.