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DANS LA RELIGION.

Chez les Égyptiens, les prêtres faisaient un corps à part, qui était entretenu aux dépens du public ; de là naissaient plusieurs inconvénients : toutes les richesses de l’État se trouvaient englouties dans une société de gens qui, recevant toujours et ne rendant jamais, attiraient insensiblement tout à eux. Les prêtres d’Égypte, ainsi gagés pour ne rien faire, languissaient tous dans une oisiveté dont ils ne sortaient qu’avec les vices qu’elle produit : ils étaient brouillons, inquiets, entreprenants ; et ces qualités les rendaient extrêmement dangereux. Enfin, un corps dont les intérêts avaient été violemment séparés de ceux de l’État était un monstre ; et ceux qui l’avaient établi avaient jeté dans la société une semence de discorde et de guerres civiles. Il n’en était pas de même à Rome : on y avait fait de la prêtrise une charge civile ; les dignités d’augure, de grand pontife, étaient des magistratures : ceux qui en étaient revêtus étaient membres du sénat, et par conséquent n’avaient pas des intérêts différents de ceux de ce corps. Bien loin de se servir de la superstition pour opprimer la république, ils l’employaient utilement à la soutenir. « Dans notre ville, dit Cicéron[1], les rois et les magistrats qui leur ont succédé ont toujours eu un double caractère, et ont gouverné l’État sous les auspices de la religion. »

Les duumvirs avaient la direction des choses sacrées ; les quindécemvirs avaient soin des cérémonies de la religion, gardaient les livres des sibylles ; ce que faisaient auparavant les décemvirs et les duumvirs. Ils consultaient

  1. Apud veteres, qui rerum potiebantur, iidem auguria tenebant, ut testis est nostra civitas, in qua et reges augures, et postea privati eodem sacerdotio prœditi rempublicam religionum auctoritate rexerunt. De divinatione, lib. I, édit. de Denis Godeffroi, 1587, t. IV, p. 369. (M.)