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DANS LA RELIGION.


malo, qu’il prie Jupiter de le frapper comme il va frapper le cochon qu’il tenait dans ses mains ; » et aussitôt il l’abattit d’un coup de caillou.

Avant de commencer la guerre, on envoyait un de ces fécialiens faire ses plaintes au peuple qui avait porté quelque dommage à la république. Il lui donnait un certain temps pour se consulter, et pour chercher les moyens de rétablir la bonne intelligence ; mais, si on négligeait de faire l’accommodement, le fécialien s’en retournait et sortait des terres de ce peuple injuste, après avoir invoqué contre lui les dieux célestes et ceux des enfers : pour lors le sénat ordonnait ce qu’il croyait juste et pieux. Ainsi les guerres ne s’entreprenaient jamais à la hâte, et elles ne pouvaient être qu’une suite d’une longue et mûre délibération.

La politique qui régnait dans la religion des Romains se développa encore mieux dans leurs victoires. Si la superstition avait été écoutée, on aurait porté chez les vaincus les dieux des vainqueurs[1] : on aurait renversé leurs temples ; et, en établissant un nouveau culte, on leur aurait imposé une servitude plus rude que la première. On fit mieux : Rome se soumit elle-même aux divinités étrangères, elle les reçut dans son sein ; et, par ce lien, le plus fort qui soit parmi les hommes, elle s’attacha des peuples qui la regardèrent plutôt comme le sanctuaire de la religion que comme la maîtresse du monde.

Mais, pour ne point multiplier les êtres, les Romains, à l’exemple des Grecs, confondirent adroitement les divinités étrangères avec les leurs : s’ils trouvaient dans leurs

  1. Non, car on aurait ainsi fait des dieux romains les protecteurs des vaincus.