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ARSACE ET ISMÉNIE.


vous demande, reprit Aspar ; vous parlerez à un homme sensible ; ne me cachez rien ; tout est important devant l’amitié.

Ce n’était pas seulement la tendresse et un sentiment de pitié qui donnait cette curiosité à Aspar. Il voulait attacher cet homme extraordinaire à la cour de Bactriane ; il désirait de connaître à fond un homme qui était déjà dans l’ordre de ses desseins, et qu’il destinait, dans sa pensée, aux plus grandes choses.

L’étranger se recueillit un moment, et commença ainsi :

L’amour a fait tout le bonheur et tout le malheur de ma vie. D’abord il l’avait semée de peines et de plaisirs ; il n’y a laissé, dans la suite, que les pleurs, les plaintes et les regrets.

Je suis né dans la Médie, et je puis compter d’illustres aïeux. Mon père remporta de grandes victoires à la tête des armées des Mèdes. Je le perdis dans mon enfance, et ceux qui m’élevèrent me firent regarder ses vertus comme la plus belle partie de son héritage.

A l’âge de quinze ans on m’établit. On ne me donna point ce nombre prodigieux de femmes dont on accable en Médie les gens de ma naissance. On voulut suivre la nature, et m’apprendre que, si les besoins des sens étaient bornés, ceux du cœur l’étaient encore davantage.

Ardasire n’était pas plus distinguée de mes autres femmes par son rang que par mon amour. Elle avait une fierté mêlée de quelque chose de si tendre ; ses sentiments étaient si nobles, si différents de ceux qu’une complaisance éternelle met dans le cœur des femmes d’Asie ; elle avait d’ailleurs tant de beauté, que mes yeux ne virent qu’elle, et mon cœur ignora les autres.

Sa physionomie était ravissante ; sa taille, son air, ses