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ARSACE ET ISMÉNIE.


gloire ne dût augmenter l’amour. Je ne suis point princesse, disait-elle dans son indignation, mais je sens bien qu’il n’y en a aucune sur la terre que je croie mériter que je lui cède un cœur qui doit être à moi ; et, si je l’ai fait voir en Médie, je le ferai voir en Margiane.

Après mille pensées, elle se fixa, et prit cette résolution :

Elle se défit de la plupart de ses esclaves, en choisit de nouveaux, envoya meubler un palais dans le pays des Sogdiens, se déguisa, prit avec elle des eunuques qui ne m’étaient pas connus, vint secrètement à la cour. Elle s’aboucha avec l’esclave qui lui était affidé, et prit avec lui des mesures pour m’enlever dès le lendemain. Je devais aller me baigner dans la rivière. L’esclave me mena dans un endroit du rivage où Ardasire m’attendait. J’étais à peine déshabillé qu’on me saisit ; on jeta sur moi une robe de femme ; on me fit entrer dans une litière fermée : on marcha jour et nuit. Nous eûmes bientôt quitté la Margiane, et nous arrivâmes dans le pays des Sogdiens. On m’enferma dans un vaste palais ; on me faisait entendre que la princesse, qu’on disait avoir du goût pour moi, m’avait fait enlever et conduire secrètement dans une terre de son apanage.

Ardasire ne voulait point être connue, ni que je fusse connu : elle cherchait à jouir de mon erreur. Tous ceux qui n’étaient pas du secret la prenaient pour la princesse. Mais un homme enfermé dans un palais aurait démenti son caractère. On me laissa donc mes habits de femme, et on crut que j’étais une fille nouvellement achetée et destinée à la servir.

J’étais dans ma dix-septième année. On disait que j’avais toute la fraîcheur de la jeunesse, et on me louait