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ARSACE ET ISMÉNIE.

Je lui fis mille serments ; ils ne furent interrompus que par mes embrassements, et elle les crut.

Heureux l’amour, lors même qu’il s’apaise, lorsque après qu’il a cherché à se faire sentir, il aime à se faire connaître ; lorsque, après avoir joui des beautés, il ne se sent plus touché que par les grâces !

Nous vécûmes dans la Sogdiane dans une félicité que je ne saurais vous exprimer. Je n’avais resté que quelques mois dans la Margiane ; et ce séjour m’avait déjà guéri de l’ambition. J’avais eu la faveur du roi ; mais je m’aperçus bientôt qu’il ne pouvait me pardonner mon courage et sa frayeur. Ma présence le mettait dans l’embarras ; il ne pouvait donc pas m’aimer. Ses courtisans s’en aperçurent, et dès lors ils se donnèrent bien garde de me trop estimer ; et, pour que je n’eusse pas sauvé l’État du péril, tout le monde convenait à la cour qu’il n’y avait pas eu de péril.

Ainsi, également dégoûté de l’esclavage et des esclaves, je ne connus plus d’autre passion que mon amour pour Ardasire, et je m’estimai cent fois plus heureux de rester dans la seule dépendance que j’aimais, que de rentrer dans une autre que je ne pouvais que haïr.

Il nous parut que le génie nous avait suivis. Nous nous retrouvâmes dans la même abondance, et nous vîmes toujours de nouveaux prodiges.

Un pêcheur vint nous vendre un poisson ; on m’apporta une bague fort riche qu’on avait trouvée dans son gosier.

Un jour, manquant d’argent, j’envoyai vendre quelques pierreries à la ville prochaine : on m’en apporta le prix, et quelques jours après, je vis sur ma table les pierreries.