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ARSACE ET ISMÉNIE.


cevable. Ardasire, qu’il croyait morte, lui était rendue ; Ardasire était Isménie ; Ardasire était reine de Bactriane ; Ardasire l’en avait fait roi. Il passait du sentiment de sa grandeur au sentiment de son amour. Il aimait ce diadème qui, bien loin d’être un signe d’indépendance, l’avertissait sans cesse qu’il était à elle ; il aimait ce trône, parce qu’il voyait la main qui l’y avait fait monter.

Isménie goûtait, pour la première fois, le plaisir de voir qu’elle était une grande reine. Avant l’arrivée d’Arsace, elle avait une grande fortune, mais il lui manquait un cœur capable de la sentir : au milieu de sa cour, elle se trouvait seule ; dix millions d’hommes étaient à ses pieds, et elle se croyait abandonnée.

Arsace fit d’abord venir le prince d’Hyrcanie.

Vous avez, lui dit-il, paru devant moi, et les fers ont tombé de vos mains ; il ne faut point qu’il y ait d’infortuné dans l’empire du plus heureux des mortels.

Quoique je vous aie vaincu, je ne crois pas que vous m’ayez cédé en courage ; je vous prie de consentir que vous me cédiez en générosité.

Le caractère de la reine était la douceur, et sa fierté naturelle disparaissait toujours toutes les fois qu’elle devait disparaître.

Pardonnez-moi, dit-elle au prince d’Hyrcanie, si je n’ai pas répondu à des feux qui n’étaient pas légitimes. L’épouse d’Arsace ne pouvait pas être la vôtre ; vous ne devez vous plaindre que du destin.

Si l’Hyrcanie et la Bactriane ne forment pas un même empire, ce sont des États faits pour être alliés. Isménie peut promettre de l’amitié, si elle n’a pu promettre de l’amour.

Je suis, répondit le prince, accablé de tant de malheurs