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ARSACE ET ISMÉNIE.


viendraient en foule contre les parents et les amis de celui que j’aurais fait mourir. Voilà le germe d’un second crime. Ces actions violentes me feraient penser que je serais haï de mes sujets : je commencerais à les craindre. Ce serait le sujet de nouvelles exécutions, qui deviendraient elles-mêmes le sujet de nouvelles frayeurs.

Que si ma vie était une fois marquée de ces sortes de taches, le désespoir d’acquérir une bonne réputation viendrait me saisir ; et, voyant que je n’effacerais jamais le passé, j’abandonnerais l’avenir.

Arsace aimait si fort à conserver les lois et les anciennes coutumes des Bactriens, qu’il tremblait toujours au mot de la réformation des abus, parce qu’il avait souvent remarqué que chacun appellait loi ce qui était conforme à ses vues, et appellait abus tout ce qui choquait ses intérêts.

Que, de corrections en corrections d’abus, au lieu de rectifier les choses, on parvenait à les anéantir.

Il était persuadé que le bien ne devait couler dans un État que par le canal des lois ; que le moyen de faire un bien permanent, c’était, en faisant le bien, de les suivre ; que le moyen de faire un mal permanent, c’était, en faisant le mal, de les choquer.

Que les devoirs des princes ne consistaient pas moins dans la défense des lois contre les passions des autres que contre leurs propres passions.

Que le désir général de rendre les hommes heureux était naturel aux princes ; mais que ce désir n’aboutissait à rien, s’ils ne se procuraient continuellement des connaissances particulières pour y parvenir.

Que, par un grand bonheur, le grand art de régner demandait plus de sens que de génie, plus de désir d’ac-