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LE TEMPLE DE GNIDE.


que vous vous occupez des affaires du dehors, doit attendre, dans le sein de votre famille, le cœur que vous lui rapportez.

Il vint des femmes de cette ville puissante, qui envoie ses vaisseaux au bout de l’univers : les ornements fatiguoient leur tête superbe ; toutes les parties du monde sembloient avoir contribué à leur parure.

Dix beautés vinrent des lieux où commence le jour : elles étoient filles de l’Aurore ; et, pour la voir, elles se levoient tous les jours avant elle. Elles se plaignoient du Soleil, qui faisoit disparoître leur mère ; elles se plaignoient de leur mère, qui ne se montroit à elles que comme au reste des mortels.

Je vis, sous une tente, une reine d’un peuple des Indes. Elle étoit entourée de ses filles, qui déjà faisoient espérer les charmes de leur mère : des eunuques la servoient, et leurs yeux regardoient la terre[1] ; car, depuis qu’ils avoient respiré l’air de Gnide, ils avoient senti redoubler leur affreuse mélancolie.

Les femmes de Cadix[2], qui sont aux extrémités de la terre, disputèrent aussi le prix. Il n’y a point de pays dans l’univers, où une belle ne reçoive des hommages ; mais il n’y a que les plus grands hommages qui puissent apaiser l’ambition d’une belle.

Les filles de Gnide parurent ensuite. Belles sans ornements, elles avoient des grâces, au lieu de perles et de rubis. On ne voyoit sur leur tête que les présents de Flore ; mais ils y étoient plus dignes des embrassements de Zéphyre. Leur robe n’avoit d’autre mérite que celui de

  1. A. Et leurs yeux tomboient par terre.
  2. A. De Cadix.