Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t2.djvu/66

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CHANT SEPTIÈME.


Nous quittâmes les lieux consacrés à Bacchus ; mais bientôt nous crûmes sentir que nos maux n’avoient été que suspendus. Il est vrai que nous n’avions point cette fureur qui nous avoit agités ; mais la sombre tristesse avoit saisi notre âme, et nous étions dévorés de soupçons et d’inquiétudes.

Il nous sembloit que les cruelles déesses ne nous avoient agités, que pour nous faire pressentir des malheurs auxquels nous étions destinés.

Quelquefois nous regrettions le temple de Bacchus ; bientôt nous étions entraînés vers celui de Gnide : nous voulions voir Thémire et Camille, ces objets puissants de notre amour et de notre jalousie.

Mais nous n’avions aucune de ces douceurs que l’on a coutume de sentir, lorsque, sur le point de revoir ce qu’on aime, l’âme est déjà ravie, et semble goûter d’avance tout le bonheur qu’elle se promet.

Peut-être, dit Aristée, que je trouverai le berger Licas avec Camille ; que sais-je s’il ne lui parle pas dans ce moment ? O dieux ! l’infidèle prend plaisir à l’entendre !

On disoit l’autre jour, repris-je, que Tirsis, qui a tant aimé Thémire, devoit arriver à Gnide ; il l’a aimée, sans doute qu’il l’aime encore : il faudra que je dispute un cœur que je croyois tout à moi.