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LE TEMPLE DE GNIDE.


Crois-tu, dit la déesse, honorer ma puissance ?
Ton cœur ressemble au fer : dans ton indifférence,
Mon fils même, oui, mon fils ne saurait t’enchaîner
Au lâche qui t’appelle et va t’abandonner.
D’un charme séducteur tu montres l’apparence :
Ta beauté, dont tu vends la froide jouissance,
Promet bien le plaisir, mais ne peut le donner...
Fuis, porte loin de moi ton culte qui m’offense.
Un homme riche et fier vint, quelque temps après ;
Il levait des tributs pour le roi de Lydie,
Et s’était chargé d’or, espérant qu’à grands frais
Il pourrait s’enflammer une fois en sa vie.
J’ai bien, lui dit Vénus, la vertu de charmer.
Mais je ne puis répondre à ce que tu souhaites :
Tu prétends acheter la beauté pour l’aimer ;
Mais tu ne l’aimes point, puisqu’enfin tu l’achètes.
Ton or ne va servir qu’à t’ôter pour jamais
Le goût délicieux des plus charmants objets.

Aristée arriva des champs de la Doride.
Il avait vu Camille aux campagnes de Gnide ;
Il en était épris, et, tout brûlant de feux,
Il venait demander de l’aimer encor mieux.
La déesse lui dit : Je connais bien ton âme :
Tu sais aimer ; Camille est digne de ta flamme :
J’aurais pu la placer sur le trône d’un roi,
Mais un simple berger mérite mieux sa foi.
Je vins aussi, tenant la main de ma Thémire.
La déesse nous dit : Jamais, dans mon empire,
Je n’ai vu deux mortels plus soumis à ma loi.
Mais que pourrais-je faire ? En vain je voudrais rendre
Thémire plus charmante, et son ami plus tendre. —
Ah ! lui dis-je, j’attends mille grâces de toi.
Fais que dans chaque objet mon image tracée,
De Thémire sans cesse amuse la pensée ;
Qu’elle dorme et s’éveille en ne pensant qu’à moi ;
Qu’absent elle m’espère, et, présent, craigne encore
Le douloureux moment qui doit nous séparer :