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DE L’ESPRIT DES LOIS.


également pernicieux qu'on raisonne bien ou mal, et il suffiroit qu’on raisonnât pour que le principe de ce gouvernement fût choqué [1]. Le savoir y est dangereux [2]. Comme il ne faut que des passions pour établir ce gouvernement, tout le monde est bon pour cela ; et le despote, malgré sa stupidité naturelle, n’a besoin que d’un nom pour gouverner les hommes [3]. »

C’est par cette sage distribution des pouvoirs que les politiques grecs et romains calculèrent les degrés de liberté des anciennes constitutions. Ils regardèrent cet équilibre comme le chef-d’œuvre de la législation : ils en furent même si étonnés, que j’oserois dire qu’ils n’imaginèrent le concours des dieux avec les hommes dans la fondation de leurs cités que pour faire l’éloge de cette espèce de gouvernement. C’est dans ce point de vue que l'Histoire de Polybe a été toujours regardée comme le livre des philosophes, des grands capitaines et des maîtres du monde. Ainsi notre auteur, semblable à Michel-Ange, qui cherchoit la belle nature dans les débris de l’antiquité, parcourt les annales et les monuments de Rome naissante [4] et de Rome florissante, où il décèle des liaisons jusqu’à présent inconnues, qui lui font voir dans le plus beau jour cette harmonie des pouvoirs qui formèrent une conciliation si admirable des différents corps ; harmonie qui mérita d’être regardée comme la source principale de la liberté politique de cette capitale de l'univers.

Le plaisir qu’on ressent à rapprocher l’antiquité de nos temps modernes fait que notre auteur se plait à chercher aussi cet équilibre des pouvoirs dans la constitution de l’Angleterre, formée et établie pour maintenir la balance entre les prérogatives de la couronne et la liberté des sujets, et pour conserver le tout. En effet, où doit-on chercher cette liberté, si ce n’est dans un État où le corps législatif étant

  1. Liv. XIX, chap. XVII.
  2. Ibid.
  3. Liv. V, ch. XIV.
  4. Et veteris Romæ sublimem interrogat umbram.