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LIVRE III, CHAP. V.


l’État, que les particuliers ; et, dans les monarchies, les crimes publics sont plus privés, c’est-à-dire choquent plus les fortunes particulières que la constitution de l’État même.

Je supplie qu’on ne s’offense pas de ce que j’ai dit ; je parle après toutes les histoires. Je sais très-bien qu’il n’est pas rare qu’il y ait des princes vertueux ; mais je dis que, dans une monarchie, il est très-difficile que le peuple le soit [1].

Qu’on lise ce que les historiens de tous les temps ont dit sur la cour des monarques ; qu’on se rappelle les conversations des hommes de tous les pays sur le misérable caractère des courtisans : ce ne sont point des choses de spéculation, mais d’une triste expérience.

L’ambition dans l’oisiveté, la bassesse dans l’orgueil, le désir de s’enrichir sans travail, l’aversion pour la vérité, la flatterie, la trahison, la perfidie, l’abandon de tous ses engagements, le mépris des devoirs du citoyen, la crainte de la vertu du prince, l’espérance de ses foiblesses [2], et plus que tout cela, le ridicule perpétuel jeté sur la vertu, forment, je crois [3], le caractère du plus grand nombre des courtisans, marqué dans tous les lieux et dans tous les temps. Or il est très-malaisé que la plupart des principaux [4] d’un État soient malhonnêtes gens, et que les inférieurs soient gens de bien ; que ceux-là soient trompeurs, et que ceux-ci consentent à n’être que dupes.

  1. Je parle ici de la vertu politique, qui est la vertu morale, dans le sens qu’elle se dirige au bien général ; fort peu des vertus morales particulières, et point du tout de cette vertu qui a du rapport aux vérités révélées. On verra bien ceci au liv. V, ch. II. (M.)
  2. Lettres persanes, CVII.
  3. A. B. Sont, ]e crois, le caractère de la plupart des courtisans.
  4. A. B. Or il est très-malaisé que les principaux d'un État, etc.