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LIVRE V, CHAP. XIX.


moins ce qui est utile à l’État que ce qui l'est à sa cause.

QUATRIÈME QUESTION. Convient-il que les charges soient vénales ? Elles ne doivent pas l’être dans les États despotiques, où il faut que les sujets soient placés ou déplacés dans un instant par le prince.

Cette vénalité est bonne dans les États monarchiques, parce qu’elle fait faire, comme un métier de famille, ce qu’on ne voudroit pas entreprendre pour la vertu ; qu’elle destine chacun à son devoir, et rend les ordres de l’État plus permanents. Suidas [1] dit très-bien qu’Anastase avoit fait de l’empire une espèce d’aristocratie en vendant toutes les magistratures.

Platon [2] ne peut souffrir cette vénalité. « C’est, dit-il, comme si, dans un navire, on faisoit quelqu’un pilote ou matelot pour son argent. Seroit-il possible que la règle fût mauvaise dans quelque autre emploi que ce fût de la vie, et bonne seulement pour conduire une république ? » Mais Platon parle d’une république fondée sur la vertu ; et nous parlons d’une monarchie. Or, dans une monarchie où, quand les charges ne se vendroient pas par un règlement public, l’indigence et l’avidité des courtisans les vendroient tout de même ; le hasard donnera de meilleurs sujets que le choix du prince [3]. Enfin, la manière de

  1. C’est un extrait de Jean d’Antioche qui nous a été gardé également dans l’Extrait : Des vertus et des vices, de Constantin Porphyrogénète, mais avec un changement dans le texte qui lui fait dire plus exactement qu’Anastase pervertit tout ce qu’il y avait de bon dans le gouvernement. J’emprunte cette remarque à Crévier.
  2. République, liv. VIII. (M.)
  3. Cette opinion, peu flatteuse pour notre ancienne monarchie, est particulière à Montesquieu. Les contemporains n’étaient point favorables à la vénalité des charges ; ils y voyaient un abus injustifiable. L’abbé de Saint-Pierre l’avait très-vivement attaquée. V. les Rêves d’un homme de bien, Paris, 1775, p. 8.