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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t3.djvu/324

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DE L'ESPRIT DES LOIS.


faire de sa puissance dans le jugement des crimes : il voulut que l’Aréopage revît l’affaire ; que, s’il croyoit l’accusé injustement absous [1], il l’accusât de nouveau devant le peuple ; que, s’il le croyoit injustement condamné [2], il arrêtât l’exécution, et lui fit rejuger l’affaire : loi admirable, qui soumettoit le peuple à la censure de la magistrature qu’il respectoit le plus, et à la sienne même !

Il sera bon de mettre quelque lenteur dans des affaires pareilles, surtout du moment que l’accusé sera prisonnier, afin que le peuple puisse se calmer et juger de sang-froid.

Dans les États despotiques, le prince peut juger lui-même. Il ne le peut dans les monarchies [3] : la constitution seroit détruite, les pouvoirs intermédiaires dépendants, anéantis : on verroit cesser toutes les formalités des jugements ; la crainte s’empareroit de tous les esprits ; on verroit la pâleur sur tous les visages ; plus de confiance, plus d’honneur, plus d’amour, plus de sûreté, plus de monarchie.

Voici d’autres réflexions. Dans les États monarchiques, le prince est la partie qui poursuit les accusés et les fait punir ou absoudre ; s’il jugeoit lui-même, il seroit le juge et la partie.

Dans ces mêmes États, le prince a souvent les confiscations : s’il jugeoit les crimes, il seroit encore le juge et la partie.

  1. Démosthènes, Sur la Couronne, p. 494, édit. de Francfort, de l’an 1604. (M.)
  2. Voyez Philostrate, Vie des sophistes, liv. I ; Vie d'Eschines. (M.)
  3. Machiavel, qu'on ne sauroit accuser d’avoir voulu restreindre les prérogatives de la souveraineté, professe la même doctrine. V. le Prince, chap. XIX. (PARRELLE.)