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LIVRE VIII, CHAP. II.


au peuple, sans retirer encore plus de lui mais, pour retirer de lui, il faut renverser l’État. Plus, il paroîtra tirer d’avantage de sa liberté, plus il s’approchera du moment où il doit la perdre. Il se se forme de petits tyrans qui ont tous les vices d’un seul. Bientôt ce qui reste de liberté devient insupportable ; un seul tyran s’élève ; et le peuple perd tout, jusqu’aux avantages de sa corruption.

La démocratie a donc deux excès à éviter : l’esprit d’inégalité, qui la mène à l’aristocratie, ou au gouvernement d’un seul ; et l’esprit d’égalité extrême, qui la conduit au despotisme d’un seul, comme le despotisme d’un seul finit par la conquête.

Il est vrai que ceux qui corrompirent les républiques grecques ne devinrent pas toujours tyrans. C’est qu’ils s’étoient plus attachés à l’éloquence qu’à l'art militaire : outre qu’il y avoit dans le cœur de tous les Grecs une haine implacable contre ceux qui renversoient le gouvernement républicain ; ce qui fit que l’anarchie dégénéra en anéantissement, au lieu de se changer en tyrannie.

Mais Syracuse, qui se trouva placée au milieu d’un grand nombre de petites oligarchies changées en tyrannies [1] ; Syracuse, qui avoit un sénat [2] dont il n’est presque jamais fait mention dans l’histoire, essuya des malheurs que la corruption ordinaire ne donne pas. Cette ville, toujours dans la licence [3] ou dans l’oppression, également travaillée par

  1. Voyez Plutarque, dans les Vies de Timoléon et de Dion. (M.)
  2. C'est celui des six cents, dont parle Diodore, liv. XIX, ch. V. (M.)
  3. Ayant chassé les tyrans, ils firent citoyens des étrangers et des soldats mercenaires, ce qui causa des guerres civiles. Aristote, Politique, liv. V, chap. III. Le peuple ayant été cause de la victoire sur les Athéniens, la république fut changée, ibid., chap. IV. La passion de deux jeunes magistrats, dont l'un enleva à l'autre un jeune garçon, et celui-ci lui débaucha sa femme, fit changer la forme de cette république Ibid., liv. VII, chap. IV. (M.)