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CHAPITRE III.


DE L'ESPRIT D'ÉGALITÉ EXTRÊME.


Autant que le ciel est éloigné de la terre, autant le véritable esprit d’égalité l'est-il de l’esprit d’égalité extrême. Le premier ne consiste point à faire en sorte que tout le monde commande, ou que personne ne soit commandé ; mais à obéir et à commander à ses égaux. Il ne cherche pas à n’avoir point de maître, mais à n’avoir que ses égaux pour maîtres.

Dans l’état de nature, les hommes naissent bien dans l’égalité ; mais il n’y sauroient rester. La société la leur fait perdre, et ils ne redeviennent égaux que par les lois [1].

Telle est la différence entre la démocratie réglée et celle qui ne l’est pas, que, dans la première, on n’est égal que comme citoyen, et que, dans l’autre, on est encore égal comme magistrat, comme sénateur, comme juge, comme père, comme mari, comme maître.

La place naturelle de la vertu est auprès de la liberté ; mais elle ne se trouve pas plus auprès de la liberté extrême qu’auprès de la servitude.

  1. Sup., I, II et III.
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