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XX
INTRODUCTION


maligne Mme Du Deffant ; et tout cela a vieilli, car rien ne se fane plus vite que le bel esprit.

Montesquieu avait une excuse ; il lui semblait inutile de braver un pouvoir ombrageux. Ce qu’il y a de singulier, c’est qu’en ce point il ait fait école. Ce qui chez lui était un défaut calculé est devenu un tic chez ses imitateurs. Benjamin Constant, dans le plus profond de ses écrits : De l'esprit de conquête et de l'usurpation ; Daunou, dans ses Garanties individuelles ; Tocqueville, dans sa Démocratie en Amérique, tourmentent leur langage pour parler de l’Empire, de la Restauration, de la République, comme si jamais l’Empire, la Restauration, la République n’avaient existé. Avec plus de simplicité et moins de travail, Benjamin Constant et Tocqueville auraient fait chacun un chef-d'œuvre, tandis que dans leurs écrits, si remarquables qu’ils soient d’ailleurs , la forme embrouille et obscurcit la pensée.

Revenons à Montesquieu. Il y avait longues années que l’Esprit des lois était commencé, et que l’auteur en lisait des chapitres à ses amis, lorsqu’il se décida à achever et à publier l’œuvre de toute sa vie. Enfermé à la Brède en 1743 et 1744, n’ayant pas un sou pour aller à Paris, « dans cette ville qui dévore les provinces, et que l’on prétend donner des plaisirs parce qu’elle fait oublier la vie », il travaille sans relâche ; mais sa vie avance, et l’ouvrage recule à cause de son immensité [1]. En 1745, le livre prend figure. Au mois de février, Montesquieu invite son cher Guasco à venir chez un autre de ses amis, le président Barbot, pour commencer la lecture du grand ouvrage ; a il n’y aura, dit-il, que vous avec le président et mon fils ; vous y aurez pleine liberté de juger et de critiquer [2]. »

Au commencement de 1746, Montesquieu est à Paris,

  1. Lettre à Monseigneur Cerati, du 16 Janvier 1745.
  2. Lettre à l'abbé de Guasco, du 10 février 1745.