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DE L'ESPRIT DES LOIS.


est nécessaire pour la conservation de la conquête. L’objet de la conquête est la conservation : la servitude n'est jamais l’objet de la conquête ; mais il peut arriver qu’elle soit un moyen nécessaire pour aller à la conservation.

Dans ce cas, il est contre la nature de la chose que cette servitude soit éternelle. Il faut que le peuple esclave puisse devenir sujet. L’esclavage dans la conquête est une chose d’accident. Lorsqu’après un certain espace de temps, toutes les parties de l’État conquérant se sont liées avec celles de l’État conquis, par des coutumes, des mariages, des lois, des associations, et une certaine conformité d’esprit, la servitude doit cesser. Car les droits du conquérant ne sont fondés que sur ce que ces choses-là ne sont pas, et qu’il y a un éloignement entre les deux nations, tel que l’une ne peut pas prendre confiance en l’autre.

Ainsi, le conquérant qui réduit le peuple en servitude doit toujours se réserver des moyens (et ces moyens sont sans nombre) pour l’en faire sortir.

Je ne dis point ici des choses vagues. Nos pères [1], qui conquirent l’empire romain, en agirent ainsi. Les lois qu’ils firent dans le feu, dans l’action, dans l’impétuosité, dans l’orgueil de la victoire, ils les adoucirent ; leurs lois étoient dures, ils les rendirent impartiales. Les Bourgui-

  1. Je crois qu'on peut me permettre ici une réflexion. Plus d'un écrivain qui se fait historien en compilant au hasard (je ne parle pas d'un homme comme Montesquieu), plus d’un historien, dis-je, après avoir appelé sa nation la première nation du monde, Paris, la première ville du monde, le fauteuil à bras où s’assied son roi, le premier trône du monde, ne fait point difficulté de dire : nous, nos aïeux, nos pères, quand il parle des Francs, qui vinrent des marais d’au delà le Rhin et la Meuse piller les Gaules et s’en emparer. L’abbé Vély dit : Nous. Hé ! mon ami, es-tu bien sûr que tu descandes d’un Franc ? Pourquoi ne serais-tu pas d’une pauvre famille gauloise ? (VOLTAIRE.)