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XXX
INTRODUCTION

Dès que la querelle prenait une couleur théologique, Voltaire ne pouvait se tenir à l’écart. Dans le Remerciement sincère à un homme charitable il jetta à pleines mains le ridicule sur les feuilles jansénistes. Ce n’était pas le moyen d’apaiser les passions, à supposer que dans la France, divisée en deux camps, on fût disposé à écouter la raison. L’Esprit des lois fut dénoncé à l’Assemblée du clergé, à la Sorbonne, à la Cour de Rome. On voulait abattre par un coup de force un adversaire qu’il n’était pas facile de réduire au silence par la discussion.

A l’Assemblée du clergé l’accusateur ne fut rien de moins que l’archevêque de Sens, Languet de Gergy, l’historien et le panégyriste de Marie Alacoque. L’archevêque était le confrère de Montesquieu à l’Académie française, mais il n’était pas homme à s’arrêter devant une si petite considération quand il s’agissait de servir l’Église. « Il avoit fait de grandes écritures, nous dit Montesquieu, écritures qui rouloient principalement sur ce que je n’avois point parlé de la Révélation, en quoi il erroît et dans le raisonnement et dans le fait [1]. » Le zèle de l’archevêque ne fut pas récompensé, l’Assemblée du clergé laissa tomber la dénonciation.

La Sorbonne n’y mit guère moins de prudence. Sur les plaintes violentes du journal janséniste, qui accusait hautement le clergé de France, et surtout la faculté de théologie, de montrer pour la cause de Dieu une indifférence coupable, la Sorbonne nomma à diverses reprises des députés pour examiner l'Esprit des lois. Ils y trouvèrent, dit-on, dix-huit chefs d’accusation ; mais l’affaire en resta là ; il n’y eut point de jugement. On voit néanmoins que plus d’une fois la faculté fut sur le point de se prononcer, « M. de Montesquieu, écrit Maupertuis, eut sur cela des inquiétudes, dont j’ai été le témoin et le dépositaire ; il n’étoit pas menacé de moins que de voir condamner son livre, et d’être obligé à une ré-

  1. Lettre au duc de Nivernois, du 8 octobre 1750.