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LIX
A L’ESPRIT DES LOIS.


aujourd’hui. Chemin faisant, Richer réfute, sans le nommer, l'avocat Linguet, qui, dans sa Théorie des lois civiles, s’était amusé à faire l’apologie du despotisme oriental. Il y a de beaux esprits qui cherchent à se faire un nom en rompant en visière aux idées reçues ; ils s’imaginent qu’à force d’audace on peut remplacer la science par des paradoxes, et en imposer au public. Linguet est le roi du genre ; on ne peut lui refuser ni talent ni courage ; mais ces fusées qui éblouissent un instant la foule s’éteignent bientôt dans la plus profonde obscurité. Que reste-t-il de ces volumes que Linguet entassait avec une facilité sans pareille ? Que reste-t-il de l’homme lui-même, malgré sa vie aventureuse et sa fin tragique ? Rien qu’un nom équivoque, et connu à peine des curieux.

Voltaire et Helvétius ont voulu, eux aussi, commenter l'Esprit des lois, Montesquieu avait peu de goût pour le premier, il s’en est expliqué plusieurs fois, avec quelque dureté. « Voltaire, dit-il, dans ses Pensées, est comme les moines, qui n’écrivent pas pour le sujet qu’ils traitent, mais pour la gloire de leur ordre ; Voltaire écrit pour son couvent. » C’est la même opinion qu’il exprime en 1752 dans une lettre au fidèle Guasco : « Quant à Voltaire, il a trop d’esprit pour m’entendre. Tous les livres qu’il lit, il les fait ; après quoi il approuve ou critique ce qu’il a fait. » On peut trouver ce jugement sévère, mais il contient un fond de vérité. Montesquieu a saisi le défaut de son rival. Qu’on lise les Dialogues de l'A. B. C, ou le Commentaire sur l'Esprit des lois, publié en 1778, on verra bientôt que Voltaire se parle et se répond à lui-même. Il a, comme toujours, un esprit prodigieux, il sème à pleines mains des plaisanteries qui ne manquent pas toujours de justesse, mais l’œuvre n’est pas sérieuse ; Voltaire est à côté du sujet. Du reste il en eut conscience ; il se lassa vite de lutter avec un aussi rude jouteur. Son commentaire n’est qu’une ébauche inachevée.

Helvétius était l’ami de Montesquieu, mais ne lui res-