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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t4.djvu/382

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DE L’ESPRIT DES LOIS

Cette espèce de trafic regarde le gouvernement de plusieurs par sa nature, et le monarchique par occasion. Car, comme il n’est fondé que sur la pratique de gagner peu, et même de gagner moins qu’aucune autre nation, et de ne se dédommager qu’en gagnant continuellement, il n’est guère possible qu’il puisse être fait par un peuple chez qui le luxe est établi, qui dépense beaucoup, et qui ne voit que de grands objets [1].

C’est dans ces idées que Cicéron [2] disoit si bien : « Je n’aime point qu’un même peuple soit en même temps le dominateur et le facteur de l’univers. » En effet, il faudroit supposer que chaque particulier dans cet État, et tout rÉtat même, eussent toujours la tête pleine de grands projets, et cette même tête remplie de petits [3] : ce qui est contradictoire.

Ce n’est pas que, dans ces États qui subsistent par le commerce d’économie, on ne fasse aussi les plus grandes entreprises, et que l'on n’y ait une hardiesse qui ne se trouve pas dans les monarchies : en voici la raison.

Un commerce mène à l’autre ; le petit au médiocre, le médiocre au grand ; et celui qui a eu tant d’envie de gagner peu, se met dans une situation où il n’en a pas moins [4] de gagner beaucoup.

De plus, les grandes entreprises des négociants sont

  1. Cest-à-dire en un pays où la noblesse méprise le commerce.
  2. Nolo eumdem populum, imperatorem et portitorem esse terrarum.

    Cic, de Rep., lib. IV. (M.) Cicéron parle en Romain qui ne connaît que le métier des armes et le gouvernement.

    Tu regere imperio populos, Romane, memento ;
    Hœ tibi erunt artes.

  3. Pour Montesquieu les petits projets, c'est le commerce qui fait la richesse du pays ; les grands projets, ce sont les intrigues de cour, et ces guerres d'ambition qui sont la ruine d'une nation.
  4. A. Où il n'a pas moins envie, etc.