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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t4.djvu/42

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DE L'ESPRIT DES LOIS.


Mais je dis qu’il n’y avoit point de monarchie sur ce modèle-là.

Voici comment se forma le premier plan des monarchies que nous connoissons. Les nations germaniques qui conquirent l’empire romain étoient, comme l'on sait, très-libres. On n’a qu’à voir là-dessus Tacite sur les mœurs des Germains. Les conquérants se répandirent dans le pays ; ils habitoient les campagnes, et peu les villes. Quand ils étoient en Germanie, toute la nation pouvoit s’assembler. Lorsqu’ils furent dispersés dans la conquête, ils ne le purent plus. Il falloit pourtant que la nation délibérât sur ses affaires, comme elle avoit fait avant la conquête : elle le fit par des représentants. Voilà l’origine du gouvernement gothique [1] parmi nous [2]. Il fut d’abord mêlé de l’aristocratie et de la monarchie. Il avoit cet inconvénient que le bas peuple y étoit esclave. C’étoit un bon gouvernement qui avoit en soi la capacité de devenir meilleur [3]. La coutume vint d’accorder des lettres d’affranchissement ; et bientôt la liberté civile du peuple, les prérogatives de la noblesse et du clergé, la puissance des rois, se trouvèrent dans un tel concert, que je ne crois pas qu’il y ait eu sur la terre de gouvernement si bien tempéré que le fut celui de chaque partie de l’Europe dans le temps qu’il y subsista. Et il est admirable que la corruption du gouvernement d’un peuple conquérant ait formé la meilleure espèce de gouvernement que les hommes aient pu imaginer [4].

  1. Montesquieu emploie le mot gothique comme synonyme de germanique.
  2. Lettres persanes, CXXXI.
  3. Cette phrase est en note dans A. B.
  4. A. Que les hommes ont pu imaginer.
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