Aller au contenu

Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t4.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
52
DE L’ESPRIT DES LOIS.


favoriser la liberté du citoyen ; mais celle-ci se perdît avec celle-là.

Il en résulta des maux infinis. On changea la constitution dans un temps où, dans le feu des discordes civiles, il y avoit à peine une constitution. Les chevaliers ne furent plus cet ordre moyen qui unissoit le peuple au sénat ; et la chaîne de la constitution fut rompue.

Il y avoit même des raisons particulières qui dévoient empêcher de transporter les jugements aux chevaliers. La constitution de Rome étoit fondée sur ce principe, que ceux-là dévoient être soldats, qui avoient assez de bien pour répondre de leur conduite à la république [1]. Les chevaliers, comme les plus riches, formoient la cavalerie des légions [2]. Lorsque leur dignité fut augmentée, ils ne voulurent plus servir dans cette milice ; il fallut lever une autre cavalerie : Marins prit toute sorte de gens dans les légions, et la république fut perdue [3].

De plus, les chevaliers étoient les traitants [4] de la république ; ils étoient avides, ils semoient les malheurs dans les malheurs, et faisoient naître les besoins publics des besoins publics. Bien loin de donner à de telles gens la puissance déjuger, il auroit fallu qu’ils eussent été sans cesse sous les yeux des juges. Il faut dire cela à la louange des anciennes lois françoises ; elles ont stipulé avec les gens d’affaires, avec la méfiance que l'on garde à des ennemis. Lorsqu’à Rome les jugements furent transportés aux traitants, il n’y eut plus de vertu , plus de police, plus de lois, plus de magistrature, plus de magistrats.

  1. Sup., XI, VI.
  2. Mais non pas seuls. Tite-Live, V, C. VII.
  3. Capite censos plerosque, Salluste, Guerre de Jugurtha, C. LXXXIV. (M.)
  4. C’est-à-dire les fermiers de l'impôts.