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LIVRE XII, CHAP. XII.

Dans le manifeste de la feue Czarine [1], donné contre la famille d’OIgourouki [2], un de ces princes est condamné à mort pour avoir proféré des paroles indécentes qui avoient du rapport à sa personne ; un autre, pour avoir malignement interprété ses sages dispositions pour l’empire, et offensé sa personne sacrée par des paroles peu respectueuses [3].

Je ne prétends point diminuer l’indignation que l'on doit avoir contre ceux qui veulent flétrir la gloire de leur prince ; mais je dirai bien que, si l'on veut modérer le despotisme, une simple punition correctionnelle conviendra mieux dans ces occasions, qu’une accusation de lèse-majesté toujours terrible à l’innocence même [4].

Les actions ne sont pas de tous les jours ; bien des gens peuvent les remarquer : une fausse accusation sur des faits peut être aisément éclaircie. Les paroles qui sont jointes à une action, prennent la nature de cette action. Ainsi un homme qui va dans la place publique exhorter les sujets à la révolte, devient coupable de lèse-majesté, parce que les paroles sont jointes à l’action, et y participent. Ce ne sont point les paroles que l’on punit ; mais une action commise, dans laquelle on emploie les paroles. Elles ne deviennent des crimes que lorsqu’elles préparent, qu’elles accompagnent, ou qu’elles suivent une action criminelle. On renverse tout, si l’on fait des paroles un crime

  1. Anne Ivanovna, czarine de Moscovie, 1693-1740.
  2. En 1740. (M.)
  3. Ivan Dolgorouki, favori de Pierre II, auquel il avait fiancé sa sœur Catherine, fut avec toute sa famille l'objet de la haine d’Anne et de Biren. Exilé en Sibérie, il fut accusé de correspondre avec l'étranger, et roué vif à Novogorod. Tout ce qui portait le nom de Dolgorouki fut envoyé en Sibérie ou à l’échafaud.
  4. Nec lubricum lingiuœ ad pœnam facile trahendum est. Modestin, dans la loi 7, § 3, ff. ad leg, Jul. maj. (M.)