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DE L’ESPRIT DES LOIS.

Tacite [1] dit qu’on faisoit toujours de nouvelles fraudes aux lois faites pour arrêter les usures. Quand on ne put plus prêter ni emprunter sous le nom d’un allié, il fut aisé de faire paroître un homme des provinces, qui prêtoit son nom.

Il falloit une nouvelle loi contre ces abus ; et Gabinius [2], faisant la loi fameuse qui avoit pour objet d’arrêter la corruption dans les suffrages, dut naturellement penser que le meilleur moyen pour y parvenir étoit de décourager les emprunts : ces deux choses étoient naturellement liées ; car les usures augmentoient [3] toujours au temps des élections, parce qu’on avoit besoin d’argent pour gagner des voix. On voit bien que la loi Gabinienne avoit étendu le sénatus-consulte Sempronien aux provinciaux, puisque les Salaminiens ne pouvoient emprunter de l’argent à Rome, à cause de cette loi. Brutus, sous des noms empruntés, leur en prêta [4] à quatre pour cent par mois [5], et obtint pour cela deux sénatus-consultes, dans le premier desquels il étoit dit que ce prêt ne seroit pas regardé comme une fraude faite à la loi, et que le gouverneur de Cilicie jugeroit en conformité des conventions portées par le billet des Salaminiens [6].

Le prêt à intérêt étant interdit par la loi Gabinienne entre les gens des provinces et les citoyens romains, et ceux-ci ayant pour lors tout l’argent de l’univers entre

  1. Annal. ; liv. VI, c. XVI. (M.)
  2. L'an 615 de Rome. (M.)
  3. Voyez les lettres de Cicéron à Atticus, liv. IV, lettre XV et XVI. (M.)
  4. Cicéron à Atticus, liv. VI, lettre I. (M.)
  5. Pompée, qui avoit prêté au roi Ariobarsano six cents talents, se faisoit payer trente-trois talents attiques tous les trente jours. Cicéron à Atticus, liv. V, lettre XXII ; liv. VI, lettre I. (M.).
  6. Ut neque Salamimis, neque cui eis desisset, fraudi esset. Ibid. (M.)