Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t5.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

CHAPITRE XV.


DU NOMBRE DES HABITANTS PAR RAPPORT AUX ARTS [1].


Lorsqu’il y a une loi agraire, et que les terres sont également partagées, le pays peut être très-peuplé, quoiqu’il y ait peu d’arts, parce que chaque citoyen trouve dans le travail de sa terre précisément de quoi se nourrir, et que tous les citoyens ensemble consomment tous les fruits du pays. Cela étoit ainsi dans quelques anciennes républiques [2].

Mais dans nos États d’aujourd’hui, les fonds de terre sont inégalement distribués [3] ; ils produisent plus de fruits que ceux qui les cultivent n’en peuvent consommer ; et si l'on y néglige les arts, et qu’on ne s’attache qu’à l’agriculture, le pays ne peut être peuplé. Ceux qui cultivent ou font cultiver, ayant des fruits de reste, rien ne les engage à travailler l’année d’ensuite : les fruits ne seroient point consommés par les gens oisifs, car les gens oisifs n’auroient pas de quoi les acheter. Il faut donc que les arts s’établissent, pour que les fruits soient consommés par les laboureurs et les artisans. En un mot, ces États ont besoin que beaucoup de gens cultivent au-delà de ce qui leur est nécessaire. Pour cela, il faut leur donner envie

  1. Arts est pris ici dans le sens du mot moderne industrie, on dit encore : les arts et manufactures.
  2. A. Dans quelques républiques.
  3. A B. Où les fonds de terre sont si inégalement distribués.