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EXAMEN CRITIQUE.


mais très-foiblement, dans une lettre qu’ils supposoient leur avoir été écrite à ce sujet. Il faut en rendre un compte plus juste et plus détaillé.

Le titre de cet ouvrage, le nom de cet auteur qui écrit toujours avec liberté, a beaucoup contribué à en multiplier les éditions. Cependant comme les maximes en sont dangereuses pour l’État et pour la religion, il est nécessaire d’en reprendre l’auteur, et d’en garantir le chrétien et le fidèle sujet ; ainsi, sans être censeur ni journaliste, on en va rendre un compte juste et détaillé.

L’auteur dit qu’il a bien des fois commencé et abandonné son ouvrage, que bien des fois il en a jeté les feuilles au vent. C’est qu’alors il marchoit sans savoir où il alloit. « Je suivois mon objet (dit-il dans la préface) sans former de dessein ; je ne connoissois ni les règles ni les exceptions ; je ne trouvois la vérité que pour la perdre. Mais quand j’ai découvert mes principes, tout ce que je cherchois est venu à moi ; et dans le cours de vingt années, j’ai vu mon ouvrage commencer, croître, s’avancer, et finir. »

Si l’auteur avoit voulu suivre un chemin frayé, son ouvrage lui auroit coûté moins de temps et de travail. Mais voulant marcher dans des routes détournées, il n’est pas surprenant qu’il ait éprouvé tout ce qui arrive à ceux qui s’égarent. Cependant quand l’auteur jettoit au feu ses premières productions, il étoit moins éloigné de la vérité que lorsqu’il a commencé à être content de son travail. Il jettoit au feu ses premières productions, parce que la vérité lui en découvroit le faux ; mais la vérité s’est retirée pour punir celui que sa lumière attristoit. Laissé à lui-même et à ses propres ténèbres durant vingt ans, l’auteur s’est cru l’organe de la sagesse, et son ouvrage montre que durant vingt ans il a été le jouet de la folie.