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DE L’ESPRIT DES LOIS.


l’idolâtrie. Quelques philosophes avoient essayé de ramener les hommes à des idées plus dignes de la Divinité ; mais ces philosophes eux-mêmes s’étoient démentis, en suivant la religion du peuple ; et leur doctrine étoit demeurée dans l’obscurité de leurs écoles, quoiqu’elle dût, selon les principes de l’auteur, faire beaucoup de progrès, en ce qu’elle flattoit l’orgueil de l’homme. Ce ne fut qu’à la prédication des apôtres que l’univers ouvrit les yeux ; encore vit-on le simple peuple embrasser la religion toute spirituelle de Jésus-Christ avant les grands, les philosophes, les magistrats. Ceux-ci ne se convertirent qu’après avoir persécuté les chrétiens, et combattu pour l’idolâtrie pendant trois cents ans. Comment est-il arrivé que les idées spirituelles de la religion chrétienne aient été goûtées par le petit peuple, avant que les grands génies la reçussent ? C’est à quoi le sectateur de la religion naturelle ne répondra jamais. Cependant on nous dit aujourd’hui que, si d’idolâtre le monde est devenu chrétien, cela vient de la satisfaction que nous trouvons en nous-mêmes, d’avoir été assez intelligents pour avoir choisi une religion qui tire la Divinité de l’humiliation où les autres l’avoient mise. Quel orgueil ! quelle ingratitude ! quelle folie !

Finissons par un trait de l’auteur sur la tolérance en fait de religion. (Livre XXV, chapitre IX.) « Lorsque les lois d’un État, dit-il, ont cru devoir souffrir plusieurs religions, il faut qu’elles les obligent aussi à se tolérer entre elles. C’est un principe, que toute religion qui est réprimée devient elle-même réprimante ; car sitôt que, par quelque hasard, elle peut sortir de l’oppression, elle attaque la religion qui l’a réprimée, non pas comme une religion, mais comme une tyrannie. Il faut donc que les lois exigent de ces diverses religions, non-seulement qu’elles