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DE L’ESPRIT DES LOIS.

« Il est étonnant que ce grand homme n’ait pas su distinguer les ordres pour l’établissement du christianisme d’avec le christianisme même, et qu’on puisse lui imputer d’avoir méconnu l’esprit de sa propre religion. Lorsque le législateur, au lieu de donner des lois, a donné des conseils, c’est qu’il a vu que ses conseils, s’ils étoient ordonnés comme des lois, seroient contraires à l’esprit de ses lois. »

Au chapitre Xe : « Si je pouvois un moment cesser de penser que je suis chrétien, je ne pourrois m’empêcher de mettre la destruction de la secte de Zénon au nombre des malheurs du genre humain, etc. Faites pour un moment abstraction des vérités révélées ; cherchez dans toute la nature, vous n’y trouverez pas de plus grand objet que les Antonins, etc. »

Et au chapitre XIIIe : « La religion païenne, qui ne défendoit que quelques crimes grossiers, qui arrêtait la main, et abandonnoit le cœur, pouvoit avoir des crimes inexpiables. Mais une religion qui enveloppe toutes les passions ; qui n’est pas plus jalouse des actions que des désirs et des pensées ; qui ne nous tient point attachés par quelque chaîne, mais par un nombre innombrable de fils ; qui laisse derrière elle la justice humaine, et commence une autre justice ; qui est faite pour mener sans cesse du repentir à l’amour, et de l’amour au repentir ; qui met entre le juge et le criminel un grand médiateur, entre le juste et le médiateur un grand juge : une telle religion ne doit point avoir de crimes inexpiables. Mais, quoiqu’elle donne des craintes et des espérances à tous, elle fait assez sentir que, s’il n’y a point de crime qui, par sa nature, soit inexpiable, toute une vie peut l’être ; qu’il seroit très-dangereux de tourmenter la miséricorde par de