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DÉFENSE


pages donnent l’idée du style ou des agréments de l’ouvrage : dans les livres de raisonnement, on ne tient rien, si on ne tient toute la chaîne.

Comme il est très-difficile de faire un bon ouvrage, et très-aisé de le critiquer, parce que l’auteur a eu tous les défilés à garder, et que le critique n’en a qu’un à orcer, il ne faut point que celui-ci ait tort : et s’il arrivoit qu’il eûtcontinuellement tort, il seroit inexcusable.

D’ailleurs, la critique pouvant être considérée comme une ostentation de sa supériorité sur les autres, et son effet ordinaire étant de donner des moments délicieux pour l’orgueil humain, ceux qui s’y livrent méritent bien toujours de l’équité, mais rarement de l’indulgence.

Et comme de tous les genres d’écrire, elle est celui dans lequel il est plus difficile de montrer un bon naturel, il faut avoir attention à ne point augmenter par l’aigreur des paroles la tristesse de la chose.

Quand on écrit sur les grandes matières, il ne suffit pas de consulter son zèle, il faut encore consulter ses lumières ; et, si le ciel ne nous a pas accordé de grands talents, on peut y suppléer par la défiance de soi-même, l’exactitude, le travail et les réflexions.

Cet art de trouver dans une chose, qui naturellement a un bon sens, tous les mauvais sens qu’un esprit qui ne raisonne pas juste peut lui donner, n’est point utile aux hommes : ceux qui le pratiquent ressemblent aux