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RÉPONSE A LA DÉFENSE


alors d’usuriers dans cette grande ville ? la cupidité en étoit-elle bannie ? Tacite est bien éloigné de le croire. Il nous dit dans l’endroit même qui fait le sujet de notre contestation, que l’usure étoit un ancien mal dans Rome ; que ce mal y avoit causé bien des séditions ; que dans les temps où les mœurs étoient corrompues, l'on avoit travaillé à y apporter quelque remède ; que d’abord (primo) la loi des Douze Tables défendit de prendre plus que l’usure oncière (douze pour cent) au lieu qu’auparavant l’usure n’avoit d’autres bornes que celles que les usurière vouloient y mettre ; que dans la suite les tribuns du peuple firent réduire l’usure à la moitié de ce qui avoit été fixé par la loi des Douze Tables, ce qu’il appelle l’usure demi-oncière (six pour cent). Après quoi on fit défense de convertir l’intérêt en capital. C’est, à ce que nous croyons, le sens de ces paroles : postremo vetita versura ; que l’on fit encore dans les temps postérieurs bien des lois pour réprimer les fraudes des usuriers, qui par mille artifices cherchoient toujours à éluder les défenses, etc. {Annal., lib. VI, C. XVI.) Un auteur qui entre dans ce détail, et qui fait comme l’histoire de l’usure depuis la fondation de Rome, peut-on dire de lui qu’il est visible qu’il s’est trompé en prenant pour la loi des Douze Tables une loi qui fut faite quatre-vingt-quinze ans depuis, à la réquisition de deux tribuns ? N’y a-t-il point de présomption à l’auteur de l'Esprit des Lois, de prétendre mieux savoir que Tacite ce que contenoit un Code que celui-ci avoit sous les yeux, et que nous n’avons plus ? Un témoin qui a vu, doit être cru préférablement à cent qui n’auroient pas vu. Ajoutez que Tacite avoit occupé les premières charges de la magistrature, et qu’il devoit connoître les lois romaines, et en particulier celles des Douze Tables, comme un premier président du