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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t6.djvu/297

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DE L’ESPRIT DES LOIS.


les descendants qu’ils auroient eus dans cet espace. Pour éviter toute chicane, n’ajoutez au nombre génératif qu’un nombre égal, vous trouverez un nombre aussi rempli que l’est l’Europe. Que sera-ce si vous vous livrez au calcul du cours progressif des générations ? Votre imagination vous créera des peuples immenses d’êtres que le célibat a anéantis. Que sera-ce encore si vous considérez la chose avec les yeux de la foi ; partant de ce principe, que les mille millions d’êtres qu’on compte communément sur la terre sont tous sortis d’un seul homme, créé il y a autour de six mille ans, vous trouverez fort aisément qu’une douzaine d’hommes qui, dès le commencement du christianisme, seroient entrés dans le célibat, auroient fort bien pu priver le monde d’autant de millions d’habitants qu’il en renferme aujourd’hui.


Quis talia fando
Temperet a lacrimis [1] ?


Je n’ignore pas que bien des gens sensés prétendent que le monde ne finira point tant qu’il y aura des moines et des abbés ; mais cette prédiction ne me console pas. Le général, à mon avis, n’observe que trop bien le vœu de continence.

Le célibat, disent quelques-uns (et ceux-là ne sont pas les plus politiques), n’épuise point la société : au contraire, il la soulage de membres qui lui seroient à charge.

Les guerres ne suffisent-elles pas ? Les pestes, les famines, ne la soulagent-elles pas assez ? La terre ne pourroit-elle pas nourrir tous ceux qui la cultiveroient ? Si la population pouvoit être excessive, la nature auroit

  1. Virg., Énéid., I. II.