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SUITE DE LA DÉFENSE


avoit placé un fantôme à côté de la religion révélée. On avoit dit : « Quand on croit trop, on risque bien de ne pas croire assez ; rien n’est plus voisin d’un grand excès que l’excès opposé : rien ne rapproche plus d’une petite foi qu’une foi volumineuse : rien ne fait plus d’incrédules qu’une superstitieuse crédulité. »

Quant à l’Angleterre, c’est de la liberté essentielle au gouvernement établi que naissent toutes ces idées bizarres sur la religion, toutes ces objections impies contre les livres sacrés, toutes ces brochures où les vérités les plus sublimes sont attaquées. Les progrès que le déisme y a fait sont une suite de la liberté, qui est selon quelques-uns la fille, et, selon d’autres, la mère de l’esprit d’indépendance. Du reste, il n’y a pas plus de déistes à Londres qu’à Paris : il y a seulement plus de liberté et moins d’hypocrisie. Je veux qu’en Angleterre il y ait plus d’esprits-forts qu’en France : on ne sauroit nier qu’il n’y ait aussi plus de bons chrétiens, si par bon chrétien on entend un homme persuadé. En France on croit parce qu’on a cru, en Angleterre parce qu’on est déterminé par le poids des raisons. A Paris, on a la foi du curé. A Londres, on a une foi qui appartient du moins à celui qui l’a.

Revenons au suicide. M. de M... prétend que « cette action tient à l’état physique de la machine, et est indépendante de toute autre cause. »

Je ne dirai point avec les gazetiers : « Cela fait horreur ; » mais je dirai bien, que le second membre de cette période est mal pensé. Car, si le suicide est purement machinal, s’il dépend uniquement du mécanisme, « s’il est indépendant de toute autre cause », la loi de Dieu n’a pas plus de droit de le flétrir que les lois civiles, parce que les actions de l’homme ne sauroient être sujettes à la peine dès qu’elles