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DISCOURS

les autres ; ce qui sembla être fait exprès pour les humilier[1].

Un air de philosophie dans une administration nouvelle séduisit les gens qui avoient le génie philosophe, et ne révolta que ceux qui n’avoient pas assez d’esprit pour être trompés.

M. le duc de la Force, plein de zèle pour le bien public, fut la dupe de la grandeur et de l’étendue de son esprit. Il étoit dans le ministère ; et charmé d’un plan qui épargnoit tous les détails, il y crut de bonne foi.

On sait que pour lors l’erreur fut de croire que la grande fortune des particuliers faisoit la fortune publique ; on s’imagina que le capital de la nation alloit être grossi.

Je comparerai ici M. le duc de la Force à ceux qui, dans la mêlée, et dans une nuit obscure, font de belles actions dont personne ne doit parler. Dans ce temps de trouble et de confusion, il fit une infinité d’actions généreuses, dont le public ne lui a tenu aucun compte. Il ne distribua pas, mais il répandit ses biens. Sa générosité crut avec son opulence : il savoit que le seul avantage d’un grand seigneur riche est celui de pouvoir être plus généreux que les autres.

Cette vertu de générosité étoit proprement à lui ; il l’exerçoit sans effort : il aimoit à faire du bien, et il le faisoit de bonne grâce. C’étoient toujours des présents couverts de fleurs ; il sembloit qu’il avoit des charmes particuliers, qu’il les réservoit pour les temps où il devoit obliger quelqu’un.

M. le duc de la Force arriva au temps critique de sa vie, car il a payé le tribut de tous les hommes illustres, il a

  1. Il s’agit du système de Law, sur lequel Montesquieu s’est expliqué avec une beaucoup plus grande sévérité dans les Lettres Persanes.