Aller au contenu

Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t7.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
133
SUR LE GOUT

Les poëtes qui nous décrivent la vie champêtre nous parlent de l’âge d’or qu’ils regrettent, c’est-à-dire nous parlent d’un temps encore plus heureux et plus tranquille.


DE LA DÉLICATESSE.


Les gens délicats sont ceux qui à chaque idée ou à chaque goût joignent beaucoup d’idées ou beaucoup de goûts accessoires. Les gens grossiers n’ont qu’une sensation ; leur âme ne sait ni composer ni décomposer ; ils ne joignent ni n’ôtent rien à ce que la nature donne : au lieu que les gens délicats dans l’amour se composent la plupart des plaisirs de l’amour. Polyxène et Apicius portaient à la table bien des sensations inconnues à nous autres mangeurs vulgaires ; et ceux qui jugent avec goût des ouvrages d’esprit ont et se font une infinité de sensations que les autres hommes n’ont pas.


DU JE NE SAIS QUOI.


Il y a quelquefois dans les personnes ou dans les choses un charme invisible, une grâce naturelle, qu’on n’a pu définir, et qu’on a été forcé d’appeler le « je ne sais quoi ». Il me semble que c’est un effet principalement fondé sur la surprise. Nous sommes touchés de ce qu’une personne nous plaît plus qu’elle ne nous a paru d’abord devoir nous plaire, et nous sommes agréablement surpris de ce qu’elle a su vaincre des défauts que nos yeux nous montrent, et que le cœur ne croit plus. Voilà pourquoi les femmes laides ont très-souvent des grâces, et qu’il est rare que les belles en aient : car une belle personne fait ordinairement le con-