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ESSAI

émouvoir et d’exciter nos désirs, elle la regarde avec un sentiment d’aversion.

De même dans nos pensées, lorsqu’elles contiennent une opposition qui est contre le bon sens, lorsque cette opposition est commune et aisée à trouver, elles ne plaisent point et sont un défaut, parce qu’elles ne causent point de surprise ; et si au contraire elles sont trop recherchées, elles ne plaisent pas non plus. Il faut que dans un ouvrage on les sente parce qu’elles y sont, et non pas parce qu’on a voulu les montrer ; car pour lors la surprise ne tombe que sur la sottise de l’auteur.

Une des choses qui nous plaît le plus, c’est le naïf ; mais c’est aussi le style le plus difficile à attraper : la raison en est qu’il est précisément entre le noble et le bas ; et il est si près du bas, qu’il est très-difficile de le côtoyer toujours sans y tomber.

Les musiciens ont reconnu que la musique qui se chante le plus facilement est la plus difficile à composer : preuve certaine que nos plaisirs et l’art qui nous les donne sont entre certaines limites.

A voir les vers de Corneille si pompeux et ceux de Racine si naturels, on ne devinerait pas que Corneille travaillait facilement et Racine avec peine.

Le bas est le sublime du peuple, qui aime à voir une chose faite pour lui et qui est à sa portée.

Les idées qui se présentent aux gens qui sont bien élevés, et qui ont un grand esprit, sont ou naïves, ou nobles, ou sublimes.

Lorsqu’une chose nous est montrée avec des circonstances ou des accessoires qui l’agrandissent, cela nous paraît noble : cela se sent surtout dans les comparaisons où l’esprit doit toujours gagner et jamais perdre ; car elles