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ESSAI

douleur, sans pitié, sans regret, sans larmes. Il la suppose instruite de ce grand mystère, et par là lui fait soutenir avec grandeur le spectacle de cette mort.

Il n’y a point d’ouvrage de Michel-Ange où il n’ait mis quelque chose de noble : on trouve du grand dans ses ébauches mêmes, comme dans ces vers que Virgile n’a point finis.

Jules Romain, dans sa chambre des Géants à Mantoue. où il a représenté Jupiter qui les foudroie, fait voir tous les dieux effrayés : mais Junon est auprès de Jupiter ; elle lui montre, d’un air assuré, un géant sur lequel il faut qu’il lance la foudre ; par là. il lui donne un air de grandeur que n’ont pas les autres dieux : plus ils sont près de Jupiter, plus ils sont rassurés ; et cela est bien naturel : car, dans une bataille, la frayeur cesse auprès de celui qui a de l’avantage[1].


DES RÈGLES[2].


Tous les ouvrages de l’art ont des règles générales, qui sont des guides qu’il ne faut jamais perdre de vue.

Mais comme les lois sont toujours justes dans leur être général, mais presque toujours injustes dans l’application ; de même les règles, toujours vraies dans la théorie, peuvent devenir fausses dans l’hypothèse. Les peintres et les sculpteurs ont établi les proportions qu’il faut donner au corps humain, et ont pris pour mesure commune la longueur de la face ; mais il faut qu’ils violent à chaque in-

  1. Ici se termine l’article de Montesquieu dans l’Encyclopédie.
  2. Ce chapitre a paru pour la première fois dans les Œuvres posthumes.