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Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/136

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la souveraine puissance est entre les mains d’une partie du peuple, cela s’appelle une aristocratie.

Le peuple, dans la démocratie, est à certains égards le monarque ; à certains autres, il est le sujet.

Il ne peut être monarque que par ses suffrages, qui sont ses volontés. La volonté du souverain est le souverain lui-même. Les loix qui établissent le droit de suffrage, sont donc fondamentales dans ce gouvernement. En effet, il est aussi important d’y régler comment, par qui, à qui, sur quoi, les suffrages doivent être donnés, qu’il l’est dans une monarchie de savoir quel est le monarque, & de quelle maniere il doit gouverner.

Libanius[1] dit, qu’à Athenes un étranger qui se mêloit dans l’assemblée du peuple, étoit puni de mort. C’est qu’un tel homme usurpoit le droit de souveraineté.

Il est essentiel de fixer le nombre des citoyens qui doivent former les assemblées ; sans cela on pourroit ignorer si le peuple a parlé, ou seulement une partie du peuple. A Lacédémone, il falloit dix mille citoyens. A Rome, née dans la petitesse pour aller à la grandeur ; à Rome, faite pour éprouver toutes les vicissitudes de la fortune ; à Rome, qui avoit tantôt presque tous ses citoyens hors de ses murailles, tantôt toute l’Italie & une partie de la terre dans ses murailles, on n’avoit point fixé ce nombre[2] ; & ce fut une des plus grandes causes de sa ruine.

Le peuple qui a la souveraine puissance, doit faire par lui-même tout ce qu’il peut bien faire ; & ce qu’il ne peut pas bien faire, il faut qu’il le fasse par ses ministres.

Ses ministres ne sont point à lui, s’il ne les nomme : c’est donc une maxime fondamentale de ce gouvernement, que le peuple nomme ses ministres, c’est-à-dire, ses magistrats.

  1. Déclamations 17 & 18.
  2. Voyez les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains & de leur décadence, Chap. IX.