Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/142

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Saint-Georges, qui est administrée en grande partie par les principaux du peuple, donne à celui-ci une certaine influence dans le gouvernement, qui en fait toute la prospérité.[1]

Les Sénateurs ne doivent point avoir le droit de remplacer ceux qui manquent dans le sénat ; rien ne seroit plus capable de perpétuer les abus. A Rome, qui fut dans les premiers temps une espece d’aristocratie, le sénat ne se suppléoit pas lui-même ; les sénateurs nouveaux étoient nommés[2] par les censeurs. Une autorité exorbitante, donnée tout-à-coup à un citoyen dans une république, forme une monarchie, ou plus qu’une monarchie. Dans celles-ci les loix ont pourvu à la constitution, ou s’y sont accommodées ; le principe du gouvernement arrête le monarque : mais, dans une république où un citoyen se fait donner[3] un pouvoir exhorbitant, l’abus de ce pouvoir est plus grand ; parce que les loix, qui ne l’ont point prévu, n’ont rien fait pour l’arrêter.

L’exception à cette regle est lorsque la constitution de l’état est telle qu’il a besoin d’une magistrature qui ait un pouvoir exorbitant. Telle étoit Rome avec ses dictateurs, telle est Venise avec ses inquisiteurs d’état ; ce sont des magistratures terribles qui ramenent violemment l’état à la liberté. Mais d’où vient que ces magistratures se trouvent si différentes dans ces deux républiques ? C’est que Rome défendoit les restes de son aristocratie contre le peuple ; au lieu que Venise se sert de ses inquisiteurs d’état pour maintenir son aristocratie contre les nobles. De-là il suivoit qu’à Rome la dictature ne devoit durer que peu de temps, parce que le peuple agit par sa fougue, & non pas par ses desseins.

Il
  1. Voyez M. Addisson, voyages d’Italie, page 16.
  2. Ils le furent d’abord par les consuls.
  3. C’est ce qui renversa la république Romaine. Voyez les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains & leur décadence.